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24 mai 2005 2 24 /05 /mai /2005 00:00

Qu'ai-je cru choisir en épousant David ? Que croyons-nous choisir dans la vie ? Si j'essaye de retrouver le fil de mes rêveries d'alors, je dirais qu'elles penchaient plutôt du côté de la prospérité et de la santé que du côté de la difficulté. Dans mon idée, nous commencerions par être pauvres mais heureux - c'est-à-dire habitant un appartement minuscule mais mignon, passant beaucoup de temps devant la télé ou au pub à boire des demis, en nous contentant des vieux meubles que nos parents nous auraient refilés. En d'autres termes, les difficultés que j'étais préparée à tolérer dans les premières années de mon mariage étaient de nature romantique, inspirées par les clichés charriés par les dramas télé - ou plutôt, vu que ces dernières sont dans leur ensemble plus sophistiquées et plus complexes que mes fantasmes, par les publicités des promoteurs immobiliers. Ensuite, me disais-je, cette succession d'épreuves (regarder la télé dans un minuscule appart, se nourrir de tartines aux haricots frits) cèderait la place à d'autres : les complications qu'entraîne l'apparition de deux enfants superbes de santé et d'intelligence. Chaussures de foot toutes crotées ; adolescentes suspendues au téléphone ; mari à arracher à la télé pour faire la vaisselle... Aïe aïe aïe, c'était une suite de problèmes sans fin, et je ne me faisais aucune illusion : la boue sur ces chaussures de foot me tuait d'avance ! Mais j'étais prête. Je n'étais pas née de la dernière pluie. Il n'était pas question de poser chez nous une moquette blanche...

Ce qu'on est incapable d'entrevoir même le jour de son mariage - comment le pourrait-on ? -, c'est le moment où l'on haïra son conjoint, où en posant les yeux sur lui l'on regrettera d'avoir jamais échangé un mot avec ce type, et à plus forte raison une alliance et des fluides corporels. Il n'est pas non plus possible de prévoir le désespoir et la dépression, l'impression d'être finie, l'envie épisodique de frapper les petits morveux, tout en sachant que l'on ne pourrait jamais lever la main sur eux. Et pas un instant on ne songe à être infidèle, et une fois parvenue à ce stade (tout le monde y arrive tôt ou tard), on n'imagine pas la sensation qui nous prend là, le malheur inhérent. Pas plus que l'on n'envisage qu'un jour notre mari deviendra quelqu'un de différent, un inconnu, comme ça, du jour ou lendemain. Si on pensait à ces choses-là, on ne se marierait pas, bien sûr que non ; on n'aurait pas plus envie de se marier que de boire un verre d'eau de Javel, et le désir de convoler serait passé sous silence plutôt que célébré. Mais personne ne s'avise de réflechir, car se marier - ou trouver un partenaire pour la vie avec qui on aura des enfants - est inscrit dès le départ à notre programme. Nous savons que c'est ce qui nous attend, et si l'on nous retire ça il ne nous reste plus qu'à grimper l'échelle des salaires et à jouer au Loto, ce qui nous paraît une bien maigre compensation, alors nous essayons de vous persuader que nous pouvons contracter ces unions sans avoir à affronter d'autres conséquences qu'un peu de boue à gratter sur des semelles ; c'est ainsi que nous devenons malheureux, et que nous prenons du Prozac, et divorçons et mourrons dans la solitude.

J'exagère peut-être. (...) Le jour de notre mariage, le prêtre, au moment où il prend à part les futurs mariés, nous a demandé de respecter nos pensées, idées et volontés respectives. A l'époque, cela m'a paru tomber sous le sens : mettons que David ait envie de dîner au restaurant, je dis : "Bon, on y va." Ou qu'il ait une idée de ce qu'il va m'offrir pour mon anniversaire. Ce genre de chose, n'est-ce pas. A présent, je me rends compte qu'un mari peut avoir des volontés de toutes natures, et qu'elles ne pas toutes dignes de respect. Il peut vous proposer de manger un truc barbare, comme de la cervelle de mouton, ou de fonder un parti néo-nazi. Ce principe est aussi valable pour les pensées et les idées, non ? Vingt ans plus tard, je suis en train d'expliquer mentalement tout cela au prêtre quand on sonne à la porte. Je n'y prête pas attention, mais deux minutes plus tard David m'appelle d'en bas pour m'annoncer que j'ai de la visite.

C'est Stephen. En le voyant mes jambes se dérobent sous moi. Mon mari est debout à côté de lui, les enfants courent à droite et à gauche ; on dirait une scène tirée d'un film qui vous fascine rien que parce qu'il évoque un imaginaire tout à fait étranger au vôtre.

Je fais mine de vouloir présenter mon amant à mon mari, mais David m'arrête.

- Je sais qui il est, dit-il d'un ton calme. Stephen s'est présenté.

- Ah bon.

 

 

Dans La bonté : mode d'emploi, Nick Hornby devient femme et troque ses trentenaires contre un couple de quadras en plein naufrage, et c'est souvent assez drôle.

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commentaires

B
je vous en prie
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S
Et voilà j'ai encore un truc à lire !!! et merci pour les extraits.
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V
Suis assez fan de Hornby. High fidelity est très bien aussi...je l'ai sur ma commode, si ça te chante. (in english, of course)
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B
Merci d'avoir changé les prénoms.
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B
Bah PBE ? Retour difficile ?
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