Tu te souviens assez bien de la date, c'était juste avant que tu commences à prendre de la drogue.
Tu n'avais pas bien compris pourquoi toute la famille s'était réunie ce dimanche-là. On t'avait prétexté un truc foireux, une histoire d'héritage, mais tout en exigeant ta présence.
Alors que toi, t'avais bien remarqué que tu allais hériter du cul en porte-bagages de tata Yvette, mais pour le reste...
T'avais pas insisté, hein, t'avais d'autres soucis à treize ans, évidemment.
Tous ces trucs là, et ces machins, et personne pour en parler, bon, un peu à ta mère, sous le sceau du secret, mais à peine.
Y'avait tout le monde, c'en était flippant.
Même l'oncle Robert qui te pinçait les fesses gamine, et qui depuis un an ne manquait jamais de t'accueillir d'un "ça pousse dis-donc !" gourmand, les yeux rivés sur ton torse.
Et puis la grand-mère, qui ne sent pas très bon, méchante comme une oie, mais bon, c'est elle qui a les sous, alors ses enfants se renvoient la balle au prisonnier, un dimanche chez les uns, le suivant chez les autres.
Et le cousin, là, qui ne comprenait rien à rien étant gosse, et qui n'a toujours pas l'air de comprendre grand chose, mais qui est quand même vachement mieux sans son appareil.
Et qui te regarde, et ça ne te déplait pas.
Et ton père, avec sa tête de faux-témoin comme quand il rentre à 21h du bureau.
Et ta mère, hilare, avant même d'avoir commencé à enchainer les Martini Blanco.
Non, vraiment, y'a un truc qui se trame.
Des regards bizarres pendant tout le repas.
Et après le fromage, ta mère qui se lève, tout le monde qui fait silence, en te regardant.
Elle ouvre la boite à gâteau, ils se mettent à applaudire comme des cons.
Et là, comment dire...
(photo : David Titlow)